Sur quoi s’appuie la confiance dans le couple ?
La confiance, qu’est-ce au juste ? Voici un mot tout simple à comprendre, un sentiment si naturel que s’interroge à son sujet peut paraître « couper les cheveux en quatre ». Cependant nous constatons que les manquements à la confiance, les manques de confiance sont des sources de souffrance, de conflits importants et destructeurs. Il est peut être utile de regarder comment la confiance, en particulier dans le couple, se vit au quotidien, quelles en sont les limites, comment elle s’entretient.
La confiance, nous dit le dictionnaire, est un sentiment d’assurance, de sécurité que quelqu’un, quelque chose nous inspire. C’est aussi le courage, l’assurance qui vient de la conscience que l’âme a de sa valeur.
La confiance chez l’enfant
La confiance résulte donc toujours d’une relation qui rassure: soit l’élément qui sécurise vient de l’extérieur, soit l’on trouve en soi des valeurs qui donnent une assurance. Or, ces deux formes sont interactives. En effet, si le besoin de sécurité est un besoin fondamental chez l’homme tout au long de sa vie, c’est une nécessité vitale chez le nourrisson qui n’a pas d’autre choix que de faire confiance à son entourage pour lui assurer son bien-être: un bébé qui, après sa tétée, s’endort dans les bras maternels vit à ce moment-là pleinement confiance et sécurité.
Mais bien vite, en grandissant, il va s’appuyer sur la chaleur sécurisante de la relation maternelle pour s’en échapper, pour acquérir un peu d’autonomie qui le remplit de confiance en lui. C’est la fierté des premiers pas avec l’accueil réconfortant dans les bras parentaux prêts à rattraper au vol les ratés d’un équilibre encore incertain. Cet exemple nous montre comment s’articulent confiance en l’autre et confiance en soi et comment la confiance en soi, qui permet l’acquisition de l’autonomie en coupant progressivement tous les liens du cordon ombilical, repose sur la confiance sécurisante du milieu familial. Toute l’éducation d’un enfant passe par cet équilibre difficile entre assez et pas trop de sécurité pour qu’il puisse avoir l’envie et la capacité de devenir sa propre sécurité, c’est-à-dire se sentir responsable de sa marche dans la vie.
La confiance dans le couple
Dans la création du couple, nous faisons en quelque sorte le chemin à l’envers: la rencontre amoureuse, c’est découvrir qu’à l’autonomie affective plus ou moins acquise depuis notre enfance, fait place une nouvelle relation très forte qui incarne alors notre sécurité en nous donnant un élan neuf de confiance en nos capacités, en notre avenir. En ce sens, la création du couple nous fait revivre de façon plus ou moins consciente des affects intenses de notre petite enfance. Le couple est bien le lieu où chacun espère trouver un climat de tendresse, d’écoute, d’accueil qui lui permette de devenir plus pro fondement lui-même. Comme le petit enfant rassuré, confiant, dans les bras parentaux, les amoureux se sentent en sécurité dans les bras l’un de l’autre: moment de béatitude où chaque corps se confie à l’autre et où la parole est comme une chanson. Mais, dans le couple, l’échange est réciproque; chacun est celui qui accueille et celui qui est accueilli, celui qui s’abandonne et celui qui peut contenir cet abandon, ce qui rend la relation beaucoup plus complexe, plus riche, mais aussi plus difficile. Comment le couple va-t-il gérer ces temps forts d’interdépendance confiante avec l’émergence des autonomies personnelles, avec les distanciations nécessaires qui peuvent être vécues comme des manques de confiance, voire des trahisons ?
A chaque couple de trouver son « tempo », de découvrir, de comprendre les limites de chacun en fonction de son histoire, de son caractère, car chaque couple est une création unique. Cependant, quelques points de repères peuvent permettre de mieux analyser et de mieux vivre ce qui se construit souvent intuitivement.
Premier point: « L’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme ». Cette injonction de la Genèse est tout à fait prophétique pour le couple actuel. Sur un plan affectif, le couple ne peut devenir pour chacun le lieu de sa sécurité, génératrice de confiance, que s’il quitte celle de sa famille. Bien sûr, quitter ne veut pas dire rompre, ni ne plus avoir d’amour, d’affection pour ses parents, ni non plus s’opposer à eux. Car la révolte est encore un lien de dépendance. Dans le couple, l’attachement essentiel de chacun devient ce conjoint choisi, entre autres, pour remplacer père et mère dans leur rôle sécuritaire. Au lien du sang toujours dissymétrique, se substitue un lien d’alliance plus égalitaire, mais basé sur le même besoin de confiance.
Deuxième point. n y a une inévitable interaction entre les ressentis plus ou moins sécurisants de l’enfance, l’apprentissage de la confiance dans la famille et ce que l’on demande et offre à son conjoint dans ce domaine. Ce client qui me disait: Comment voulez-vous que je fasse confiance à une femme, ma mère m’a abandonné à deux mois ? nous montre que le manque de sécurité ressenti par un petit enfant, peut rester un traumatisme de l’adulte. La peur de la souffrance peut rendre défensif, méfiant de façon inadaptée, comme une trop grande sécurité peut donner un sentiment d’invulnérabilité ou de naïveté tout aussi inadapté – les effets de cette interaction ne sont pas toujours faciles à repérer en soi comme en l’autre. Pourquoi tel petit geste a-t-il pour moi tant d’importance, alors que pour mon conjoint il n’a guère de sens ? Est-ce la façon dont ma mère, mon père, me montraient sa tendresse, me rassuraient? Pourquoi certains mots réveillent-ils en moi une telle émotion ?
Pour mieux communiquer dans le couple, chacun a besoin de découvrir combien son propre langage, verbal et non verbal, est pétri de son histoire, comme celui de son conjoint. Aussi une compréhension plus fine de l’un et l’autre demande-t-elle du temps et de la confiance. Par exemple, assez vite on comprendra le côté positif ou négatif du silence qui peut être le signe d’une intense communion autour d’un même ressenti comme aussi le signe de la rancÏur, du mépris, de l’indifférence. Mais il est d’autres silences plus difficiles à interpréter: celui qui vient de la peur de blesser ou de la peur d’être blessé par une non-écoute, une incompréhension; le silence, expression d’un doute flou de soi ou/et de l’autre; le silence, qui naît du désir que l’autre vous devine sans avoir à dire, jusqu’à ce désir muet qui attend que l’autre le révèle… etc.
La confiance, en soi et en l’autre, et notre capacité à dialoguer ensemble se conjuguent de façon assez inextricable. Si une bonne communication a besoin d’un climat de confiance, la confiance s’entretient, se renforce par une communication claire, aussi claire que possible.
Limites de la confiance
Mais et c’est le troisième point, la meilleure communication du monde bute sur l’inévitable et nécessaire part d’opacité que chacun porte en lui: opacité plus ou moins volontaire, jardin secret où, seul, chacun ose s’aventurer en lui-même et dont il reste toujours un noyau mystérieux, insondable, inexprimable, peut-être l’ultime réserve de notre énergie vitale ?
Opacité bien utile puisque, quelle que soit l’illusion fusionnelle de la relation conjugale, quel que soit le grand désir de tout partager, cette incommunicabilité irréductible nous protège de l’envahissement mutuel, de la perte d’identité. Une parfaite transparence de l’un à l’autre serait la mort du couple en diluant la radicalité des différences homme, femme, tout aussi fondatrice du couple que le désir fusionnel.
Alors, la confiance entre les époux, que va-t-elle devenir devant l’inconnu de l’autre ? Née d’un bien-être affectif, souvent inexplicable, elle s’est confirmée, plus ou moins, dans la réalité quotidienne par une meilleure connaissance et compréhension mutuelle. Au-delà, sur quoi va-t-elle s’appuyer ?
Un engagement
Ce sera le dernier point de repère : c’est la fidélité à soi-même à travers sa promesse, sa capacité à vouloir tenir un engagement qui sera la base de la confiance mutuelle. Certains couples achoppent là-dessus: ils ne peuvent, ils ne veulent ni se donner ni donner à l’autre la sécurité du devenir de leur amour. Peut-être une des raisons de certains non-mariages – puisque mariage civil comme mariage religieux sont fondés sur cet échange des engagements ?
Or tout engagement relève de la conscience morale plus que des mouvements affectifs même s’ils en sont à l’origine: c’est plus ou moins implicitement reconnaître une certaine fluctuation possible de nos attentes affectives dont nous n’aurions la maîtrise qu’en les contenant, les unifiant dans un projet de vie établi ensemble.
Cet engagement, solennisé le jour du mariage ou/et pris dans la plus grande intimité, n’a certes pas d’effet magique; il n’est pas une assurance tous risques, c’est la première pierre de la construction, jamais tout à fait terminée, du couple qu’il faut réactualiser régulièrement parfois énergiquement, avec une vigilance confiante.
Même ceux qui croient en l’aide de Dieu pour sanctifier leur amour, ne sont pas dispensés de l’effort humain… Le couple est une création qui, comme toute création, procure des moments dynamiques, exaltants et comporte aussi des temps de lassitude, de doute qu’il faut surmonter.
Une longue vie conjugale, heureuse en dépit de ses épreuves, ne peut être qu’une œuvre de foi partagée.